Déclaration du pianiste Igor Levit à l’occasion de son concert depuis son salon, le 29 avril 2020 :
Mon concert a lieu aujourd’hui dans un contexte très particulier et se veut avant tout un geste d’hommage et de remerciement : en ces jours et semaines, le monde commémore, conjointement avec les survivants, la libération des camps de concentration et d’extermination il y a 75 ans, Majdanek, Auschwitz, Gross-Rosen, Buchenwald, Bergen-Belsen, Sachsenhausen, Ravensbrück, Dachau, Flossenbürg, Stutthof, Mauthausen… pour ne citer que quelques noms que les survivants ont quotidiennement devant les yeux – de même que les images de leurs familles assassinées et leurs propres souvenirs effroyables qui, jusqu’à ce jour, leur sont douloureux. Les survivants ne se sont pas réfugiés dans le silence ni l’amertume : en tant que témoins du passé, ils ont raconté, ils nous ont raconté ce qu’ils ont vécu et comment la haine antisémite et l’idéologie nazie ont fait de leurs voisins des ennemis qui leur ont tourné le dos avec indifférence lorsque les familles juives, les Sintés et les Roms ainsi que les opposants politiques ont été transportés dans les camps. Je suis reconnaissant envers les survivants pour ce qu’ils m’ont raconté et ont raconté au monde : pour leur tolérance, leur intérêt pour nous, leur joie de vivre et pour la démocratie qu’ils ne cessent de nous transmettre à tous. Et je suis proche d’eux dans la colère face à l’antisémitisme d’aujourd’hui. Proche d’eux dans la colère face à la bêtise populiste de certains hommes politiques, face aux théories venimeuses du complot et aux attaques haineuses et brutales des néonazis qui sont déversées sur nous aujourd’hui, quotidiennement, dans le monde réel et sur Internet. En cette 75e année après leur libération, les survivants, en raison de la pandémie du Corona, n’ont quasiment pas pu se rendre aux cérémonies commémoratives sur les lieux de l’horreur, ils n’ont pas pu se rencontrer et ont dû passer ces journées commémoratives seuls chez eux. C’est pourquoi, Christoph Heubner du Comité international d’Auschwitz, Maren Borchers, mon agente, et moi-même avons développé conjointement l’idée de dédier aujourd’hui ce concert depuis mon salon aux survivants des camps de concentration et d’extermination. Et au-dessus de ce concert figureront deux phrases de survivants qui s’adressent à nous tous, aujourd’hui et à l’avenir également.
D’une part, la phrase de Janek Mandelbaum, né en 1927, à Danzig, et vivant aujourd’hui à Naples, en Floride. Janek avait 18 ans lorsqu’il fut libéré. À Gross-Rosen, il portait le numéro matricule 1 6 1 0 3. Janek Mandelbaum déclare : « S’il y a une chose à dire aux jeunes aujourd’hui, c’est celle-ci : ne croyez pas que vous êtes trop intelligents, trop modernes ou trop hautement développés pour faire l’impensable. Cette possibilité est en nous tous et nous devons nous protéger contre elle en permanence grâce à l’éducation et à notre action. »
Et Roman Kent, le président du Comité international d’Auschwitz, né en 1929 à Lodz, comme fils d’une famille juive, après son vécu à Auschwitz, a ajouté aux dix commandements un 11e commandement pour nous et pour tous les temps : « Remember : en cas d’injustice, de discrimination et de persécution d’individus – tu ne resteras pas indifférent : l’indifférence tue. »